Il était une fois une petite fille qui s’appelait Anne.
Elle avait les joues roses et un adorable sourire, du moins c’est ce qu’on lui disait tout le temps.
Sa mère l’aimait beaucoup, elle lui faisait des câlins, lui trouvait de jolies robes qui cachaient ses rondeurs et lui offrait des poupées Barbies pour qu’elles puissent s’amuser.
Anne était une petite fille comme les autres petites filles, peut-être un peu plus ingénue, ce qui parfois lui jouait de mauvais tours, car il y avait toujours d’autres enfants, surtout un peu plus âgés, pour abuser de sa gentillesse et lui faire de mauvais tour. Mais Anne n’était pas rancunière, elle avait un bon fond et quand des méchants se moquaient d’elle ou essayaient de la taper, elle se défendait et restait fière, car elle savait qu’elle était honnête et fidèle à elle même.
Anne grandissait vite, très vite, trop vite. À l’âge de 9 ans, la petite fille avait déjà des formes féminines et mère Nature décida de commencer ses visites mensuelles.
Malgré 1 an d’avance sur ses camarades de classe, la très jeune fille était la première à rentrer dans ce cycle mensuel. Sincèrement, pour elle c’était juste une honte de plus qui rentrait dans sa vie.
Oui honte, car à 9 ans, en plus d’avoir honte d’être plus ronde que ses copines, maintenant il y avait la peur de la tâche et la panique que tout le monde sache que dans son cartable, elle avait un gros paquet de serviettes.
Anne portait toujours de jolies robes et des jupes, mais de moins en moins, car au collège les garçons ne s’amusaient plus à soulever les jupes, non, il s’asseyait en face dans la cour, la cantine, la salle de devoir, et se tordaient le coup pour ensuite dire à tout le monde qu’ils avaient vu ce qu’il se passe au niveau de l’entrejambe ou qu’il connaissait la couleur de la culotte. Alors le jean s’imposa rapidement pour toutes les jeunes filles comme l’uniforme.
Pendant ce temps, sa mère s’inquiétait pour Anne qui avait de plus en plus de formes pour son jeune âge, mais elle ne savait pas comment lui expliquer ce qui l’inquiétait, les dangers qui la guettaient, les comportements à fuir. Au lieu de parler, sa mère tenta une autre approche, plus de jolies robes, pas d’autorisations de sorties aux boums des copines passées 9h,10h, minuit au lycée, interdiction d’aller faire des répétitions, seule avec un garçon (même si le garçon en question est marié à un autre homme aujourd’hui).
Évidemment, ces interdictions eurent l’effet inverse de celui escompté.
La jeune fille qui grandissait et voyait ses copines sortir de plus en plus ne comprenait pas pourquoi elle était punie ainsi, alors elle se révolta, traîna avec les fumeurs, les rebelles, les poètes, les musiciens, les artistes de tous poils et affirma aussi sa différence et ses passions.
L’heure du lycée arrive, Anne a 15 ans (oui, elle a 1 an d’avance), c’est une adolescente avec un corps de femme, toujours bienveillante, mais elle a un corps de femme maintenant. Elle se pense grosse, des garçons la regardent de plus en plus, mais elle ne le voit pas.
Puis vient une de ces soirées d’adolescents, Anne se débrouille pour rester toute la nuit en disant qu’elle va dormir chez sa copine, enfin dormir… s’écrouler sur un sofa après avoir aider à ranger tout en finissant un verre d’alcool entourer des copines et de ceux qui sont encore là.
Ce qui doit arriver arriva, un des garçons, plus âgés, profite de la situation et emmène Anne dans un coin tranquille pendant la soirée. Quand Anne réalise malgré quelques verres ce qu’il se passe, il est trop tard, enfin pas vraiment, elle dit NON, il arrête un moment, elle redit Non, il arrête, se fait doux, va chercher un autre verre, puis il recommence, Anne dit de nouveau non, doucement, mais c’est trop tard… alors elle ne dit plus rien et attends que cela se passe, rapidement heureusement… c’était sa première fois, quelque chose c’est brisé en elle.
Les années passeront, d’autres tenteront aussi de s’imposer, Anne est grande et forte, ne se laisse pas faire, même si parfois elle doit faire preuve de sans froid pour échapper à un videur de discothèque qui tente de la coincer dans un recoin de l’entrée déserte, ou un petit copain qui veut faire venir des potes dans la chambre, un garçon qu’elle voit de temps en tant qui laisse entrer son cousin dans la pièce sans rien dire, un groupe de garçon à la sortie d’une soirée chez des amis du Lycée qui tentent de la retenir dans le parking … heureusement, Anne est intelligente ou chanceuse et arrive à se sortir de ces situations sans qu’on la touche.
Anne n’est plus une petite fille, c’est une jeune femme, elle ne comprend pas encore que les interdictions de sa maman étaient une tentative pour la protéger des mésaventures qui sont tout de même venues sur son chemin.
Elle aurait aimé qu’on lui explique tout cela, qu’on lui dise que son corps était beau et sacré, qu’on lui donne des armes pour se protéger et ne pas tomber dans les pièges.
Il vaut parfois mieux perdre son innocence par l’information et l’éducation que par le traumatisme de l’agression … même si elle se cache sous un autre nom.
Aujourd’hui, Anne est une femme, elle a subi le mansplaining venant d’hommes de tous âges et tout statut socioprofessionnel, les agressions verbales, elle a eu peur pour sa sûreté et cela parfois en plein jour, au coeur de la capitale française et au coeur de la capitale catalane… et pas juste venant de la part « d’étrangers » comme certains se plaisent à le dire, de jour comme de nuit, dans des lieux avec du monde ou non, à 16 ans, 22, 35 et 45 ans…
Anne c’est moi, mais pas que, mon histoire ce n’est pas une histoire qui se raconte, pas une histoire qui se partage en général, malheureusement c’est une histoire aux combien banales, tant de femmes qui vous sont proches, ne vous le diront sans doute jamais, n’en parleront pas, seront fière, forte et sûre d’elle et qui pourtant, elles aussi auront vécues des agressions similaires ou pires.
En France, selon une étude de l’institut Ifop de 2018, 12 % des femmes ont déjà été victimes de viol, 43 % ont subi des gestes sexuels sans leur consentement.
Ce n’est que le top de l’iceberg.
En 2019, 149 femmes ont été tuées par leur compagnon ou leur ex.
Et vous savez quoi ?
On peut tous faire quelque chose, en parlant à nos enfants, neveux, cousins, camarades, collègues en éduquant les garçons et les filles.
Une jeune fille, une femme qui sait comment se protéger et reconnaître sera plus à même de se protéger si elle en a besoin
Un petit garçon qui sait qu’il peut avoir un rôle de protecteur et qui respecte les femmes pourra peut-être un jour aider et ne pas se retrouver sans s’en rendre compte dans le rôle de l’agresseur.
C’est la première fois que je raconte cette histoire publiquement.
Avoir des gens me souhaitaient une « bonne fête » tout au long de ce 8 mars, juste parce que je suis une femme, m’a vraiment fait une sensation étrange, je sais que cela vient d’une bonne intention, mais je ne comprends pas ce qu’il y a à célébrer quand en prenant la direction de chez moi vers 18h aujourd’hui même, je repère un homme qui commence à me suivre, colle sa démarche sur la mienne, s’arrête quand je m’arrête, puis fais demi-tour quand il voit que je change de direction, commence à me dépasser pour traverser, puis quand je fais demi-tour pour reprendre mon chemin initial, s’arrête, prend un air déboussoler, hésites un moment puis finit par poursuivre son chemin, car des voitures arrivent et qu’il est au milieu du passage piéton.
Je pense qu’il était temps que je raconte cette histoire.
Le but ici n’est pas de juger qui que soit.
Le garçon qui n’a pas écouté mon « non », je l’ai croisé quelques années plus tard, hasard de la vie. Il s’est excusé. Je sais, c’est peu, mais c’est déjà plus que ce que beaucoup de femmes ont pu avoir, je ne lui en veux plus, je ne m’en veux plus.
Merci à ma maman que j’aime de tout mon coeur, qui m’a permis de me construire avec de fortes valeurs et un caractère à toute épreuve.
Il était une fois une petite fille qui deviendra une femme qui aimerait pouvoir ouvrir le dialogue, tendre la main en racontant son histoire, même si cela n’aide qu’une seule personne, que ce soit une femme ou un homme, ce sera déjà ça.